
Divorce et entreprise : un enjeu stratégique pour les dirigeants
Le divorce d’un dirigeant d’entreprise ne se limite pas à une rupture personnelle : il peut avoir des conséquences juridiques et patrimoniales majeures sur la société qu’il dirige. En particulier, le régime matrimonial et l’origine des fonds utilisés pour acquérir les parts sociales peuvent ouvrir la voie à des revendications inattendues de la part du conjoint.
Un arrêt récent de la Cour de cassation ( Com. 12 mars 2025 pourvoi n°23-22.372) illustre cette problématique : une cheffe d’entreprise découvre, au moment du divorce, que son conjoint peut revendiquer la qualité d’associé dans sa société.
Mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, chacun avait constitué sa propre SARL avec des fonds communs. Lors de la séparation, l’époux revendique la qualité d’associé dans la société de son épouse, estimant que les parts sociales acquises avec des biens communs lui donnent droit à la moitié de celles-ci. La Cour confirme cette faculté, en l’absence de renonciation claire et expresse.
Au-delà de la question de la qualité d’associé, le divorce soulève également celle de la prestation compensatoire. Celle-ci vise à compenser la disparité de niveau de vie créée par la rupture. Or, lorsqu’une entreprise constitue l’essentiel du patrimoine du dirigeant, les juridictions peuvent être tentées d’évaluer sa valeur théorique sans tenir compte de sa liquidité réelle. Cela conduit parfois à des décisions exigeant le versement de sommes importantes, alors même que le dirigeant ne dispose pas de trésorerie disponible, ni de possibilité immédiate de céder ses titres sans compromettre l’activité.
Cette incompréhension du fonctionnement économique des entreprises peut fragiliser leur équilibre. Les juges, focalisés sur la valeur patrimoniale, négligent parfois les contraintes de liquidité, les engagements financiers ou les pactes d’associés qui empêchent la cession des parts. Le dirigeant se retrouve alors dans une impasse : devoir verser une prestation compensatoire élevée sans disposer des moyens de le faire, sauf à vendre son outil de travail.
Face à ces risques, une stratégie patrimoniale et juridique globale s’impose. Elle doit être pensée dès la création de l’entreprise ou lors d’événements majeurs (mariage, levée de fonds, expatriation…). L’objectif est double : protéger l’entreprise des aléas personnels du dirigeant, et garantir la pérennité de son activité.
Les conseils spécialisés jouent ici un rôle clé et doivent travailler de concert pour anticiper les effets d’un divorce sur l’entreprise. Une approche proactive permet non seulement de limiter les conflits, mais aussi de rassurer les partenaires, investisseurs et collaborateurs.
En conclusion, le divorce d’un dirigeant peut révéler des vulnérabilités insoupçonnées dans la gouvernance de son entreprise. Une anticipation rigoureuse d’un évènement dont l’éventualité ne peut pas être exclue compte tenu du taux de divorce, appuyée par des conseils spécialisés, est la meilleure garantie pour préserver ses intérêts et ceux de sa société.