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Projet RIVAGE : une réforme qui menace vos droits d’appel 

Le Ministère de la Justice prépare un décret dit “RIVAGE” qui bouleversera la procédure d’appel en matière civile et commerciale. Présentée comme une mesure de simplification et de célérité, cette réforme comporte en réalité des risques majeurs pour les justiciables. Et non, ce n’est pas un sujet réservé aux avocats : vos droits sont directement concernés. 

Une tendance inquiétante depuis plusieurs années : 

Depuis plus d’une décennie, les réformes successives ont eu pour objectif de réduire l’accès à l’appel, en suivant les recommandations de la Conférence des Premiers Présidents qui prônent un appel conçu comme voie d’achèvement plutôt que voie de réformation. 

Cette orientation remet en cause le double degré de juridiction, principe fondamental de notre système judiciaire, garant d’un contrôle effectif des décisions. 

Ce que prévoit le projet RIVAGE : 

  • Hausse du seuil du dernier ressort : les litiges inférieurs à 10000 € ne pourront plus être portés en appel. 
  • Filtrage des appels : la cour pourra écarter par ordonnance les recours jugés “manifestement irrecevables”. 
  • Extension de la tentative amiable obligatoire : avant d’accéder au juge, il faudra passer par une conciliation ou une médiation pour les litiges jusqu’à 10 000 €. 

Pourquoi cela vous concerne ? 

  • Moins de recours possibles : si votre litige est inférieur à 10 000 €, vous perdrez le droit à un second examen. 
  • Complexité accrue : les nouvelles règles de procédure sont strictes et les sanctions sévères (irrecevabilité, caducité). 
  • Risque d’inégalités : les entreprises et particuliers sans conseil spécialisé seront les plus exposés. 
  • Décisions non réformées : la disparition de l’effet suspensif et la réduction des voies de recours peuvent laisser subsister des erreurs de jugement. 

Exemples concrets 

  • Litige commercial : vous contestez une facture de travaux de rénovation de 8500 € que vous estimez injustifiée (malfaçons, devis non respecté). 
    Aujourd’hui, vous pouvez faire appel si le jugement de première instance vous est défavorable. 
    Demain, avec RIVAGE, ce recours serait impossible : vous seriez contraint d’accepter la décision, même si elle est entachée d’erreurs. 
  • Litige familial : vous demandez la fixation d’une contribution à l’entretien d’un enfant (pension alimentaire). Si votre demande est rejetée et que le montant en jeu est inférieur à 10000 €, vous ne pourriez plus faire appel
    Ces situations touchent à des droits essentiels et ne peuvent être considérées comme des “petits litiges”. 

Un constat alarmant 

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 

  • Taux d’appel élevé dans certaines matières (prud’homal : plus de 60 %). 
  • Taux de réformation significatif (40 à 45 % des décisions modifiées en appel). 
    Ces données démontrent que les décisions de première instance ne sont pas toujours satisfaisantes. Restreindre l’appel, c’est priver le justiciable d’une garantie essentielle

Une comparaison qui interroge (chiffres clés 2025) 

  • Affaires nouvelles en appel
    En 2024, les cours d’appel ont été saisies de 195093 affaires nouvelles (hors référés), soit une baisse continue par rapport à 2009 (230 000 affaires). 
  • Durée moyenne de traitement
    La durée moyenne pour traiter une affaire civile ou commerciale devant les cours d’appel est désormais de 19,2 mois (âge moyen du stock), et 75 % des affaires se terminent en moins de 21,3 mois
    En 2009, la durée moyenne était de 11,5 mois et 75 % des affaires se terminaient en 15,6 mois
  • Volume des affaires terminées
    En 2024, le stock d’affaires en cours devant les cours d’appel est de 235310

(Source : Chiffres clés de la justice, Édition 2025) 

Ainsi, malgré la multiplication des obstacles procéduraux depuis le décret Magendie (2009), le nombre d’affaires nouvelles en appel diminue, mais les délais de traitement s’allongent fortement. 

  • Moins d’affaires, mais plus de lenteur : la politique de filtrage et de complexification n’a pas permis d’accélérer la justice, bien au contraire. 
  • Effet paradoxal : alors que l’objectif affiché était la célérité, la réalité montre une justice d’appel moins accessible et plus lente

👉 Avant de fermer encore la voie de l’appel, la Chancellerie devrait s’interroger sur l’efficacité réelle de ses réformes. Restreindre l’accès au juge pour pallier le manque de moyens est une solution dangereuse et contraire à l’esprit de justice. 

Et la Convention européenne des droits de l’homme ? 

L’article 6 de la CEDH consacre le droit à un procès équitable. Si le double degré de juridiction n’est pas absolu en matière civile, il est reconnu comme une garantie forte dans notre tradition juridique. Réduire l’accès à l’appel pour des raisons budgétaires ou organisationnelles pose une question de conformité avec cet esprit protecteur. 

Notre position chez ELCY 

La profession d’avocat s’adaptera aux réformes pour défendre vos intérêts, mais elle ne peut rester silencieuse devant une atteinte au double degré de juridiction. 

La levée de boucliers des instances et syndicats doit alerter : le manque de moyens ne doit pas être compensé par une restriction de l’accès au juge. 

Que faire ? 

  • Anticiper : identifiez dès maintenant les litiges susceptibles d’être impactés par le seuil de 10 000 €. 
  • Se préparer : privilégiez la qualité des contrats et des preuves pour éviter les contentieux. 
  • Se faire accompagner : en cas de litige, l’assistance d’un avocat devient plus que jamais indispensable pour sécuriser vos droits. 

Chez ELCY, nous suivons de près cette réforme et ses implications. 
Nous publierons régulièrement des analyses et des conseils pratiques pour vous aider à protéger vos intérêts. 

28/11/2025 Articles, Droit Commercial

Source : Emmanuelle GERARD-DEPREZ - Cabinet DEFIS Avocats